Interview 2015

entretiens menés par Stéphane en 2015 et 2016

Vous avez joué en 1ere partie de Noir Désir au cirque à Amiens. Avez-vous eu des échanges avec eux ?

Fabrice : Le souvenir que chacun est concentré avant tout sur ce qu’il a à faire. Denis (le batteur) avait regardé le concert je crois. Mémoire vague de tout cela.

Loic : Je n’ai pas souvenir d’avoir beaucoup échangé avec eux. Je me souviens avoir discuter un peu avec Serge le guitariste mais tout cela est loin et un peu flou. Il me reste l’impression d’avoir été sur un petit nuage ce jour là.

Manu : Ah, ND au Cirque. Drôle de moment pour moi. Je venais d’intégrer « officiellement » Morituri depuis 48h, j’étais roadie sur ce concert. Je me souviens du bonnet de Bertrand Cantat, mais pas d’avoir échangé avec les membres de ND.

Philippe : Ben non, le cirque ne possède pas de terrain de tennis voyons!
Echanges normaux, nous n’étions pas à l’affut, prets à dégainer la discussion… Bon Denis et Fred nous ont fait un enfant comme lorsque deux batteurs se croisent.. J’ai un peu jacté avec Serge et Margot la fille de sa compagne m’a fait de jolies dessins

Enorme activité de Morituri en 1994. Que se passe-t-il en 1995 ?

Fabrice : Probablement un coup de fatigue, un besoin de changer. On a dû enregistrer encore quelque chose dont je n’ai aucun souvenir. J’étais de plus en plus happé par la musique électronique et le questionnement de la parole. Questionnement qui perdure.

Loic : En 1995 nous commençons notre (trop brève) collaboration avec Pascal Koziarek (Producteur de No One is Innocent). Nous allons en studio pour enregistrer deux titres pour les distribuer au Printemps de Bourges, mais les délais sont trop courts et c’est finalement « Quatre » (maquette que nous avions enregistrée nous même) qui sortira. Personnellement je n’ai jamais beaucoup aimé les enregistrement en studio mais cette expérience avec Pascal m’a beaucoup appris. Il avait un vrai regard de producteur, mettait le doigt sur des petits défauts de composition ou d’interprétation et nous obligeait à nous interroger sur nous même, ce que nous voulions exprimer dans chaque morceau.
Ensuite le concert au Printemps de Bourges a été mon pire souvenir de scène. Fred avait une tendinite et nous avions du annuler une mini tournée de préparation pour Bourges, nous étions tendus et n’avions juste fait un linecheck mais pas de réelle balance qui nous aurait permis de nous approprier la scène et nous déstresser… Bref nous n’étions pas dedans et cela a été un véritable calvaire. Je me souviens que Pascal était furieux de notre prestation et nous n’avons plus jamais eu de nouvelles. Nous avons appris quelques temps après qu’il était mort d’une tumeur au cerveau (il était déjà malade quand nous étions en studio).
C’est vrai que cette année là nous n’avons pas fait beaucoup de concerts. Le premier semestre était consacré à la préparation de Bourges et ensuite, je pense que cette mauvaise expérience nous a refroidis.
En fin d’année nous sommes retournés dans un petit studio pour enregistrer une maquette de quelques nouvelles chansons

Manu : Passage à la vitesse supérieure, moi je ne suivais plus mentalement.

Philippe : On fête 1994 pardi ! Non, un manque de niak, je pense aussi qu’on s’est reposé sur Thierry (Wils dit Tintin ou Noeil ou Charly) et sur les possibilités (et non des certitudes) que Pascal nous avait exposé.

Pourquoi le groupe a splitté ?

Fabrice : En ce qui me concerne ça devenait compliqué de concilier mes différents attraits.

Loic : Morituri était une expérience très intense. Pendant quelques années nous n’avons vécu quasiment que pour Morituri. Cela a un côté étouffant et nous avions besoin de nous ressourcer.
Je me souviens que lorsque nous avons enregistré les nouveaux morceaux fin 95 nous essayions d’évoluer et de nous renouveler mais ces nouvelles compos ne nous ont pas enthousiasmé.
C’était « techniquement » plus abouti mais avec le sentiment de nous répéter sans arriver à nous dépasser. Ces morceaux sonnaient « creux », il leur manquait une âme pour leur donner corps.
Plus personnellement, à cette période j’étais programmateur dans une salle de concerts et je passais mes journées à écouter toutes les démos que je recevais et je dois dire qu’il y avait beaucoup de daubes. A partir de là j’ai eu beaucoup de mal à faire de la musique. Quand je prenais ma basse pour essayer de composer des nouveaux morceaux, je me disais « Mais qu’est-ce que tu fous ? Qu’est-ce que ces trois notes que tu arrives péniblement à aligner ont de plus que toutes les merdes que tu as entendues aujourd’hui ? ». J’en avais la nausée
Par la suite j’ai mis plusieurs années avant de pouvoir à nouveau écouter du « rock » (un format guitare / basse / batterie). Par chance, je suis devenu tour manager de Rokia Traoré qui à l’époque avait des musiciens qui ne jouaient qu’avec des instruments traditionnels africains. Cela m’a ouvert un autre horizon et m’a aidé à me ressourcer.

Manu : Splendide formule de Fabrice, très élégante, incomplète à mon sens, car j’ai été le premier à partir.

Philippe : Ben justement on s’est trop reposé dans tous les sens du terme !

Comment le groupe a splitté ?

Fabrice : Gentiment. Plus de combat, plus de combattant.

Loic : Je crois que c’est en rentrant des vacances d’été 96. Pas envie de retourner au « boulot », besoin de respirer, de prolonger encore un peu les vacances (Ah ben merde, ça fait déjà 20 ans !)
Manu : J’ai une position particulière dans le groupe : je n’ai pas fait partie du Morituri « canal historique » (!), et je crois que j’ai toujours été en « décalage de maturité » par rapport aux autres membres. Au moment où il a fallu s’engager plus totalement dans le groupe, je n’ai pas pu suivre, j’ai quitté le groupe, qui a continué à quatre. J’ai continué la dégringolade, la pire année de ma vie, j’ai pété les plombs quelques mois après mon départ du groupe.
Philippe : En se reposant chacun sur une pente douce

Le producteur de No One a-t-il joué un rôle dans la fin du groupe ?

Fabrice : Pas vraiment, comme le groupe n’en a pas joué dans sa fin, je le jure. Je crois qu’on a pas vraiment pris cela au sérieux.

Loic : Je ne sais pas. Peut-être que si après Bourges il avait été présent pour nous coacher et nous aider à progresser l’histoire aurait peut être été différente ? Mais bon , comme je te l’ai dit, il était très malade à l’époque et je crois que l’avenir d’un énième groupe de rock était le cadet de ses soucis.
Manu : ?
Philippe :
Non, du tout, ou alors j’ai pas vu, il faisait du brouillard….non, je ne pense pas. Un hasard de calendrier.

Certains groupes envoient, envoient et n’obtiennent jamais de retour du public. Te sens tu dans ce cas ?

Fabrice : Non, nous avons eu le retour de ce que nous avons construit. Nous avons brulé. C’était une dépense pure. La part maudite. Le nombre n’a jamais été ma préoccupation. Le retour a été en adéquation avec ce que nous voulions au fond, inconsciemment.

Loic : Qu’entends-tu par retour du public ? Des cannettes vides ? Des tomates ? 🙂

Manu :
Je ne sais pas, je crois que je ne faisais pas beaucoup attention à ça.

Philippe : Non, si on avait voulu plein de retour, on aurait joué autre chose avec des reprises qui vont bien… Et puis, le créneau était pris : Christophe Marquilly avait déjà créé les Stocks dans la region donc…petit clin d’oeil.

Que faisaient tes parents ? De quel genre de famille viens-tu ?

Fabrice : Classe moyenne de gauche un peu catholique. Beaucoup d’attention, peu de communication. Un cadre juste et aimant.

Loic : Je suis un pur produit de la classe moyenne. Parents dans le milieu enseignant. Apprentissage de la tolérance et à se rebeller contre les injustices.
J’ai eu la chance d’avoir des parents m’ont toujours laissé très libre tout en m’accompagnant. A nos débuts, ma mère a d’ailleurs été tour-manager de Morituri car nous étions encore mineurs et c’est elle qui conduisait le fourgon pour nous emmener sur les concerts
Manu : Classe moyenne de gauche, athée, mère instit, père prof en lycée professionnel.

Philippe : Enseignants, mon père a de l’or dans les doigts et de la sciure dans les yeux question menuiserie et autres travaux. Ma mère fait la carbonnade comme personne, depuis peu « arrière grand-mère en force! ». Famille aimante, très « passtonbakavantistes », campagnards, anti-FN, bref des « quelqu’un de bien ».

As-tu l’impression d’avoir été au bout de l’histoire, des possibilités de Morituri ?

Fabrice : Le groupe est une étape constitutive de l’ensemble d’un parcours. En ce sens cette expérience est allée au bout d’elle même. Elle est donc accomplie. Elle affirme de fait sa résolution formelle. Je veux dire par là, que ce groupe cristallisait à un moment particulier un esprit qui continue son évolution, par delà la mort. La fonction a été remplie. Cette expérience est reprise ou investie dans d’autres expressions qui lui succèdent.

Loic : Oui je pense qu’on est allé au bout de notre histoire car je ne pense pas que l’un de nous ai ressenti une quelconque frustration après. Est-ce qu’on est allé au bout de nos possibilités ? ça, je n’en sais rien.
Manu : C’est loin, tout ça.

Philippe : Je pense qu’on a fini un livre de plusieurs chapitres foutreusement bordélique. Les possibilités?? Qui sait si on a pas raté une marche? En tout cas, encore de nos jours, aucun parfum n’aura altéré l’immonde fétide haleine de Néam. Et je cite un auteur né en 1970 et vivant en Normandie :
-« Le groupe est une étape constitutive de l’ensemble d’un parcours. En ce sens cette expérience est allée au bout d’elle même. Elle est donc accomplie. Elle affirme de fait sa résolution formelle. Je veux dire par là, que ce groupe cristallisait à un moment particulier un esprit qui continue son évolution, par delà la mort. La fonction a été remplie. Cette expérience est reprise ou investie dans d’autres expressions qui lui succèdent.  »

Qu’est-ce que tu éprouves quand tu écoutes Morituri aujourd’hui ?

Fabrice : Je n’écoute pas Morituri. Je n’en éprouve pas le besoin.

Loic : Comme Fabrice, je n’écoute jamais Morituri. La dernière fois c’était il y’ a environ deux ou trois ans et c’est mon fils qui avait mis un disque. Je me souviens d’un sentiment de familiarité mais aussi d’un sentiment d’ étrangeté (C’est nous qui avons fait ça ? )

Manu :
Ca arrive rarement (une fois par an ?), mais je suis fier de ce qu’on a produit quand je réécoute, je revois des images de concerts, des flashes. Je me souviens de l’intensité, de l’engagement.

Philippe : Ouch, je les ai ré-écouté avec Pat Kebra (Oberkampf) que j’ai croisé il y a deux ans…des frissons certes, mais on était pas en place parfois souvent beaucoup, à la folie!

Avais tu la sensation d’etre dans un groupe exceptionnel ?

Loic : Peut-être pas un groupe exceptionnel pour l’histoire du Rock 🙂 mais pour ma petite personne, oui. A l’époque j’ai joué aussi dans un autre groupe mais c’était un peu comme une récréation alors que Morituri c’était bien plus que ça pour moi.

Connais-tu des groupes aujourd’hui qui te semblent proches de vous à l’époque ?

Fabrice : Il y en a probablement. Pas forcément dans la forme mais dans l’approche. Seulement il doivent appartenir à des niches auxquelles je n’ai pas accès. Ma curiosité est détournée. Je suis pris dans des flux. Mais vers 95 justement, il y avait Diabologum qui réalisait pleinement cet esprit. J’ai d’ailleurs mené une collaboration avec Arnaud 15 ans plus tard. Les choses arrivent, naturellement. Juste rester en phase avec soi. Un programme.

Loic : Peu après que nous ayons arrêté, j’ai programmé Diabologum. Cela a été une révélation. Voilà ce que nous voulions dire et faire sans y arriver vraiment.
Plus récemment j’ai vu un jeune groupe amienois (SOBO) et je me suis retrouvé en eux.

Manu : Pas assez de connaissance de la scène indé fr actuelle pour ça.
Dans l’intention, peut-être que les Swans sont un des groupes qui me parle le plus
personnellement ces dernières années (mais je ne réponds pas vraiment à la question).

Philippe :
A l’époque et avec le recul, comment veux tu comment veux tu??? Oui Diabologum (que j’ai connu bien apres 95). Actuellement je vois Ghinzu, pas pour la formation mais pour le sens de création. Et j’écoute quelques groupes actuels du coin (Wayward Birds, Positiv Sight, Skip the use…héhéhé !!!) et plus mondiaux comme Black rebel motorcycle club…(band ! Sergeant Pepper). Rodrigo Y gabriela mais je m’éloigne du sujet. Quoique les Burning Heads ont bien duré, les Thugs se sont officiellement séparé il y a peu, Pierrot Margerin rock toujours, on est de la même époque (les Thugs un peu avant quand même)

Autre citation du même auteur que j’aime beaucoup tant elle le revèle (et relève mon mail !) :
Juste rester en phase avec soi. Un programme.

Es-tu étonné que des gens se bougent pour faire connaître Morituri 20 ans après ?

Fabrice : Pas étonné mais surpris. Mais je comprends parfaitement qu’un groupe, un spectacle, ou tout autre chose puissent avoir un impact et une grande importance à un moment de l’existence. Je le rencontre encore avec ce que nous faisons maintenant dans le domaine performatif.

Loic : Après tant d’années, j’avoue que oui cela m’étonne (mais pas autant que mes enfants qui te prennent carrément pour un archéologue 🙂 . Jeunesse ingrate !)

Manu : Oui, c’est flatteur.

Philippe : Pas du tout étonné, et encore moins surpris, et ce n’est pas de la flagornerie, ou un manque d’humilité! non.. du tout, du tout, du tout…. car j’en suis absolument sidéré !!