Entretiens menés par Fikret – Hooverville vers 2005
1ère PARTIE : AVANT MORITURI
Quand avez-vous commencé à jouer de la musique ? De quels instruments ? Par quels moyens (autodidacte, cours, entourage…) ?
Philippe (guitare) : J’ai commencé à jouer de la batterie (sur un jouet offert par mes grands-parents quand j’avais 6 ans). Puis j’ai pris quelques cours de tambour chez mon voisin qui en jouait dans la fanfare du patelin où je vivais (407 âmes). Mon cousin m’a fait écouter AC/DC et ce fut la révélation. Puis on m’a donné « des vieux disques » Led Zep, Status Quo, Mott The Hopple… Mon cousin (le même) a eu une guitare, j’en ai récupéré une chez des potes (assez baba-cool) de mes parents, guitare classique, peinte en violet (véridique!). Puis en troisième, j’en ai acheté une et c’est là où j’ai commencé à ….faire chier ma famille, à m’entraîner tout seul avec les accords principaux gentiment dessinés par mon cousin (encore le même) et aussi 5 ou 6 cours prit chez Bernard le guitariste de Napalm groupe hard d’Arras. Sinon j’étais assez balaise en flûte à bec au collège !!!
Loïc (basse) : J’ai toujours adoré la musique. J’écoutais les disques des parents. Mon préféré était un album de Burt Blanca (copie belge d’Elvis – période j’ai des kilos superflus-) qui reprenait des standards du rock. A l’époque je jouais de la guitare sur une raquette de Badminton en chantant « Tell me what I say » que j’avais transformé en « retire mon lacet ». Comme à la maison il y’ avait un vieux piano, mes parents m’ont inscrit à des cours vers l’âge de 6 ans. Le solfège m’a d’emblée rebuté.
Plus tard au collège, j’ai vu Téléphone en concert. Quand ils sont passés à Amiens, il y’avait un groupe local en première partie. Ensuite j’ai croisé le bassiste dans la rue (Chose inimaginable pour moi. Je croyais que le rockers n’existaient pas vraiment en chair et en os, qu’ils habitaient sur une autre planète, descendaient se matérialiser sur scène une fois de temps en temps et qu’après le concert ils redevenaient des étoiles). Après lui avoir fait part de mon incrédulité, il m’a invité à aller les voir répéter dans leur cave. Révélation : les rockers ne sont pas des êtres immatériels. Ils boivent de la bière et rôtent (c’était la période punk).
Manu (guitare) : Comme Loïc, mon père (accordéoniste, organiste et musicien de balluche ?) m’a inscrit au conservatoire à l’âge de 8 ans, et j’ai fait du piano pendant 2 ans et demi. Idem, le solfège m’a dégoûté et j’ai arrêté. En fait, je voulais faire de la batterie, je m’étais bricolé une batterie de fortune avec des barils de lessive, j’avais inscrit dessus tous ces noms inconnus et étranges que je voyais sur les sacs « US » (Saxon, Trust, Iron Maiden, Nana Mouskouri) et je répétais en boucle le solo de
Kiss (« I was just made for lovin’you », ou un truc comme ça). Puis, plus rien jusqu’à l’âge de 19 ans où j’ai croisé la route d’un certain Pascal Capellari (dont je vais reparler ensuite) qui m’a littéralement mis une guitare dans les mains, ce pour quoi je le bénis jusqu’à la 7ème génération, malgré mon agnosticisme déclaré)
Fabrice (chant) : J’ai très rapidement été attiré par toutes sortes de pratiques artistiques, dès mon plus jeune âge, vers 4-5 ans.
J’ai écouté du rock dès l’âge de 4 ans (Led Zeppelin) et ceci ne m’a plus quitté.
La pratique musicale est venue tardivement vers 15 ans, (guitare, boîte à rythme) en autodidacte.
Quel style de musique et quels artistes écoutiez-vous à cette période ?
Philippe : De Led Zep à Accept, Saxon, Judas Priest, Téléphone, Renaud, mais aussi Manfred Man, la collection de disques Jazz de mon père, son intégrale Brassens, Brel, Ferrat, Beatles, Queen, Bowie, Balavoine par la force des choses (de ma sœur, en fait…). Puis vint le moment clef de ma vie, où un changement se produisit : Je suis rentré au Lycée Carnot d’Arras. Et grâce à certaines rencontres (dont on parlera plus tard), j’ai découvert le mouvement alternatif. Avec Les Bérus, Ludwig, Les Rats, Parabellum (les incompris !), LSD, Gogol, Tulaviok, GBH, OTH, Mano Negra, Toy Dolls, et bien d’autres.
Loïc : Comme je te l’ai dit, j’ai d’abord écouté les disques de mes parents (rock sixties, Brel, classique) puis vers l’âge de 8 ans j’ai découvert grâce à des cousins plus âgés d’autres musiques. En 79 (j’avais 9 ans) j’ai cassé ma tirelire et acheté mon 1er disque (One step beyond de Madness).
Mes grandes révélations ont été:
> à 12 ans : Téléphone (j’en ai encore la chair de poule) et le hard-rock (Trust / AC-DC / Iron Maiden / Saxon…)
> à 14 ans : Le punk et la scène française (qu’on ne disait pas encore alternative) avec des groupes comme WC3
Les albums qui m’ont mis une grande claque :
> Crache ton venin de Téléphone (j’ai découvert qu’il y avait du rock français)
> Kill ’em all de Metallica (le son des albums d’ Iron Maiden à la même époque ressemble à de la pop minimaliste)
> Boy’s don’t cry des Cure (pour le coup c’est vraiment minimaliste)
> Repeater de Fugazi (bien plus tard)
Fabrice : Le punk, la scène alternative. Nous sommes alors en 1985.
Manu : Quand j’ai commencé à tâter de la Young Chang (une excellente imitation de la stratocaster), mes vedettes préférées étaient en vrac Sonic Youth, Pixies,
Hendrix, Stooges, REM, Hüsker Dü, Neil Young, Beatles & the Stones,
Velvet Underground, Prince, Clash et Morituri. Oui, alors, il faut
préciser qu’avant de rencontrer le groupe et ses membres en chair et
en os, j’étais fan de Morituri, on essayait de ne pas louper tous les
concerts qu’ils faisaient sur la région d’Amiens, et par exemple je me
souviens d’un concert en 91 dans une boîte pourrie entre la Hotoie et
Etouvie (la Clef, la Clef de Sol ?) où on devait être les 3 seuls
spectateurs : Arno, Pascal et moi. Nul n’est prophète etc. Ç’a toujours été cruellement vrai pour Morituri.
J’ai donc appliqué à la lettre la formule de Sonic Youth : « Kill your idols »)
Avez-vous fait partie d’un ou de plusieurs groupes avant MORITURI ?
Philippe : Oui et non, à Carnot, il y avait la fête de la St Eloi le 1er samedi de décembre. Les lycéens préparaient une petite fête (musique théâtre et autres clowneries). J’ai très vite fait la rencontre de Loïc lors des premières réunions de prépa de la St Eloi. Nous avions décidé (surtout les autres) de jouer « the final countdown » d’Europe (terrible…grand moment basse-courien, mais première scène quand même). Puis parallèlement, Fabrice et Olivier avaient un groupe « les craps » (rapport aux Scraps de Lille ou l’inverse). J’ai rencontré Fabrice aux environs de la St Eloi (il n’en faisait pas parti), il m’a demandé « t’aimes bien le punk? » ne connaissant que les Sex Pistols et étant naïf, je dis « oui » et il m’a fait écouté « Gogol 1er » avec » Mais qui va nous faire marrer ? ». Et le choc se produisit : simplicité des accords, paroles en français, style totalement inconnu de ma pomme. Puis le groupe s’est formé.
Loïc : Non. En même temps que Morituri j’ai joué avec « Un Après-midi de Chien » groupe Pop-Rock dans lequel Manu a été batteur par la suite.
Fabrice : Non.
Manu : Oui, je viens de citer Arno à la basse/chant et Pascal à la guitare/chant, avec Patrick (batterie) et moi, on obtient Blonde Lacrymo, formation éclair qui s’est dissoute après une année de répétition et trois concerts, le dernier concert ayant été perturbé par des…….vapeurs lacrymogènes (manif d’agriculteurs devant la salle de
concert), ça s’invente pas. Et puis on avait beaucoup joué dans la rue avec Pascal à reprendre des standards anglo-saxons (bon, on plaçait aussi du Hüsker Dü ou du Stooges, hein, ça fait toujours son petit effet, hé, hé), c’est la meilleure école de scène, à mon sens.
Qu’est ce qui vous a amené à faire de la musique ensemble ? Vous vous connaissiez avant ? Aviez vous l’impression d’appartenir à une scène ?
Fabrice : L’entente cordiale.
On s’est rencontré au fur et à mesure; je ne sais plus trop comment.
Je m’intéressais particulièrement à la scène alternative punk, mais je n’ai
jamais eu, ni l’impression, ni l’envie d’appartenir à une scène.
C’était un jeu, quitte à en arborer parfois les attributs.
Je n’ai pas fait l’armée, je ne bêle pas… à bon entendeur…
Philippe : Le contact est très vite passé entre nous quatre (Fabrice, Loïc, Olivier et moi). L’avantage est que Fabrice et Olivier avaient déjà un petit répertoire, je jouais du clavier car aux dires de Fabrice « tu joues trop comme un hardos ! » et jouer avec une guitare, une basse et un clavier était déjà très laborieux, alors avec deux ….
————————————————-petit apparté———————————————-
J’ai vu Fabrice le premier jour, après le premier quart d’heure de rentrée 1986. Il était en retard (comme à toutes ses rentrées), moi tout jeune « bleu » dans le lycée, j’ai vu un punk passer devant tout le monde ! Dire bonjour au CPE, et filer dans sa classe où une place derrière celle de Loïc l’attendait. Fabrice s’installe et Loïc voit que sur sa trousse est inscrit « béruriers noirs », « t’aimes bien l’alternatif? » « Oui » répondit- il. (Certaines mauvaises langues parlent d’étrange idylle entre eux mais bon…)
————————————————fin de l’aparté———————————————–
Loïc : Le hasard. On était (avec Philippe et Fabrice) au lycée ensemble. C’est là qu’on s’est connu. C’était notre premier groupe. Je n’avais donc pas l’impression d’appartenir à une scène (par la suite non plus d’ailleurs).
On a rencontré Fred à la Fac. Il jouait (toujours) avec Argh. Philippe, le premier batteur de Morituri était parti depuis environ un an et son remplaçant ne faisait vraiment pas l’affaire. On a donc dragué Fred pour qu’il vienne jouer avec nous et plus si affinités. Il y a eu affinités…
Manu : Loïc a vu le 1er concert de Blonde Lacrymo au Grand Wazoo, il est venu discuter avec nous, nous a encouragé et nous a aidé à avancer un peu dans la jungle r’n’r’ amiénoise. Ensuite, le hasard a fait qu’on
fréquentait la même fac avec Philippe, donc on a commencé à manger ensemble le midi au campus et puis de fil en aiguille on en en est venu à jouer ensemble à l’acoustique, des après-midi entières comme l’a décrit Philippe, j’en garde un souvenir fabuleux, on pouvait partir dans des jams acoustiques sans fin, l’osmose a commencé comme ça.
Une scène, oui, bien sûr, il y avait une véritable communauté de musiciens à l’époque à Amiens, je suppose que c’est toujours pareil d’ailleurs. Les gens se rencontrent, dans les bars ou ailleurs,, s’échangent les plans, les instruments (les compagnes…), c’est ce qui
fait vraiment vivre la musique localement, et pas des politiques culturelles à deux francs. J’ai vu une nette différence à ce niveau-là en arrivant à Troyes : il n’y a pas de scène locale, sauf en jazz, où c’est assez pointu et élitiste.
Ce serait intéressant que quelqu’un collecte des photos et témoignages
pour en faire un livre (+audio), on pourrait appeler ça « Grands oiseaux
et lunes piratées, 15 ans de scène rock à Amiens »…
Quels types de lieux et de concerts vous fréquentiez à ce moment là ?
Philippe : Avant Morituri, je n’allais qu’aux gros concerts des gros artistes et encore pas trop souvent. Après la formation du groupe, j’ai découvert les p’tits groupes et les petits lieux de concerts, puis les p’tits festivals, il faut savoir qu’à l’époque (hein oui papy !) il y avait pleins de concerts sous différents thèmes « fêtes des peintres à Amiens » ou d’un quartier, il y en avait partout, avec la gratuité généralement (autant pour les spectateurs que pour les acteurs), les assos poussaient et fleurissaient à chaque coin d’idée.
Les débuts de Morituri, je les considère dans la période de novembre 86 à juin 87. Fabrice et Loïc sortaient ensemble assez fréquemment, moi beaucoup moins. Seuls nos concerts me faisaient sortir: Le L’a Plus D’nom à Arras en avril 87 je crois, en première partie de « Tao et François » où François m’a dit « toi tu peux être un musicien » et d’ajouter « attends toi à voir des sacs à vin crier « Johnny Be Good » lorsque tu seras sur scène » ; il avait raison. Plus tard, à Fougères, prés de Rennes dans un haut lieu musical qui s’appelle « la boite », nous connaîtrons ce genre d’affaires !
Puis le deuxième concert ensemble, (et cette fois ci avec Foufoune notre batteur ! ‘Faut pas l’oublier !) fut aussi mémorable : La fête de la musique à Amiens, en compagnie du groupe Disgrace, déjà bien en place avec Pierre et Francis (je crois), devant le café Marius. A peine l’intro de Disgrace commencée, le patron nous a gentiment demandé de nous casser. Direction le Gambetta où sévissait déjà le groupe Alert avec leurs 5 morceaux. Après discussion et moult palabres nous pûmes jouer (ce qui fit plaisir au patron du rad ! Un peu de diversité!!!). Une semaine après, direction la fête du quartier Victorine Autier d’Amiens où une petite sono et un plateau fait d’une remorque de tracteur, nous attendaient. Mais il n’y avait qu’eux qui nous attendaient. Le public, attiré par les bruits, était composé de gamins de 5 à 10 ans, même les ados nous ont fuit. Puis vint les vacances et cette rentrée 87 et la braderie de Lille, concert devant le 107 boulevard de la Liberté, avec Noxious Milk (groupe hard-core furieux d’Amiens) mais seule une voiture est arrivée pour repartir chercher le reste du matériel à Amiens, ils ne sont jamais revenus à cause d’une sombre histoire. Avant ce concert je suis allé chez Fabrice fermement décidé à m’imposer comme guitariste, et je n’ai pas eu à le faire, Fabrice a joué notre premier titre phare « les salauds », et surtout il l’a chanté.
Fabrice : « qu’est ce que t’en penses ? »
Philippe : » ça va être dur de le dire à Olivier… »
Loïc : À cette époque, il n’y avait pas beaucoup de salles ou de cafés-concerts. J’allais donc voir des concerts (souvent organisés par des assos) dans des foyers étudiants ou des MJC ou des discothèques.
Puis vers la fin des années 80, tout cela s’est développé très vite. Les premières salles « Rock » sont alors apparues dans d’anciennes friches industrielles comme par exemple L’Aéronef (avant qu’il soit à Euralille)
J’ai beaucoup fréquenté la Lune des Pirates à Amiens dès son ouverture en 87 (où j’ai été programmateur par la suite) et le Grand Wazoo (89).
Manu : Eh ben justement : Le Grand Wazoo, total respect à Pascal Lefait,
artisan local indéfectible et totalement inrockuptible, total respect.
Et La Lune des Pirates, aussi, évidemment. Après c’est le défunt festival de
Saint-Quentin et puis des salles sur Paris de temps en temps,
ou Lille.
Fabrice : Beaucoup de concerts se faisaient dans les bars, dans un tas de bleds de la région. La législation n’était pas aussi limitative.
Il y avait une grande effervescence dans mon souvenir.
Pas mal de festivals, tout un renouveau de la scène punk/rock française.
Fin de la 1ère partie
2ème PARTIE : MORITURI
D’où et de qui est né Morituri ? (Line up original ?)
Fabrice : « L’affaire des divisions morituri » est un film de F.J. Ossang de 1985.
Je suis tombé par hasard sur une bande annonce et l’esthétique était
tout à fait représentative de ce que j’avais en tête à l’époque.
Je n’ai vu le film dans son intégralité que beaucoup plus tard.
Quand il a fallu trouver un nom au groupe ça s’est imposé.
Le line-up devait être au tout début : Olivier Turpin, Loïc et moi. Les autres doivent s’en souvenir mieux que moi.
Philippe : Le nom du groupe vient de Fabrice et Loïc. Ils avaient vu le film avec Elno, et sur un mur un tag les a inspiré pour trouver un nom en latin, MORITURI fut choisit en toute logique.
Pardon?…..Ah oui, le tag ? Je ne l’ai pas vu mais je l’ai su lors de notre première interview à radio Loisirs, où travaillait Dominique ou Didier du groupe indus Bunker Strasse (dominique, didier, thierry et robert).
Hein? Tu veux le savoir? » Avé Marie, comment va la vie, comment est la mort ? « .
Le line up des débuts serait Olivier, Loïc, Fabrice et moi sous le nom de Morituri. Puis en cours de route, la copine d’Olivier (Guislaine) connaissait un batteur et Philippe (Foufoune) est arrivé (mais je me trompe peut être, la première répét avec Philippe s’est faite dans le bassin minier, je n’ai pas pu y aller je jouais encore au foot !!!!!). Mais le commencement de MORITURI est pour moi Loïc, Fabrice, Philippe et moi.
Loïc : On s’est rencontré au Lycée. Au départ, il y’avait Fabrice (guitare), Philippe (mini synthé car au début il n’avait pas le droit de jouer de la guitare car ils savait faire de vrais accords (sur plus de 2 cordes) et ça ne collait pas avec nous autres pour qui les Bérus c’était du Mozart), Olivier (« chant » si on peut dire) et moi (basse, parce qu’il en faut bien et que j’étais même pas capable de faire un accord sur 2 cordes)
Après quelques mois à faire du bruit dans les caves du bahut, Philippe (alias Foufoune) a rejoint le groupe (ça y est, on avait un batteur !).
Comme Olivier n’était pas très assidu aux répétitions, Fabrice est passé au chant et Philippe a eu le droit de jouer de la guitare (mais avant, on lui a fait jurer sous serment de ne jamais faire un solo « hard rock »).
Manu : voir ci-dessus.
Quelles sont les circonstances de la sortie du 45 (travel in love / triste faim)? Avec le recul vous en pensez quoi ?
Fabrice : Un pari : pas cap’ de faire un disque !! C’était déjà mieux qu’une cassette… avant cela il y en a eu quelques unes !!
Ce qui me reste à chaque fois de ce genre de chose, c’est l’aventure. Un prétexte pour vivre quelque chose de nouveau.
J’ai toujours considéré ces différentes étapes comme des exercices, une sorte d’apprentissage.
Cette notion de parcours est omniprésente dans mon travail.
Ce disque nous permettait aussi de prendre de l’importance et donc de
faire plus de dates. Ce qui était l’essentiel.
Je n’ai pas vraiment de regard sur la qualité artistique des trucs que
j’ai pu faire. Sinon j’aurai abandonné depuis longtemps.
Philippe : C’est un jour, Loïc avait de quoi payer un 45 tours……. Ok, c’est parti ! Fabrice trouve un Studio 24 pistes à Courtrai en Belgique, tenu par Eddy, un vieux terriblement à cheval sur sa notice: « non non, y a pas d’écho dans le rock que tu dis k’sa s’appelle pisaïko ou skypo, hein fieu! Tu comprends dis ? T’es flamingant ti ? ».
Fabrice a fait une pochette comme il a pu, le pressage fait, un genre de » bon en avant » nous mettait un peu au dessus du lot grâce à cette première galette. A ma connaissance, nous étions les premiers à le faire, celles de Disgrace, Woodstock Tartare sont venues après.
Petite anecdote : Jean Sé (personnage extrêmement important pour le groupe, il était le garant de la remise en question, le brûleur incontestable des lauriers auto-posés, le faucheur d’espérance, le préparateur psychologique, le fidèle, l’énergumène…) Ayant décliner l’offre de venir jouer de l’harmonica, le privilège revenait à Olivier Fraisier (Frasier dans le milieu de la BD). Ce dernier est venu un matin à Lens, est aussitôt embarqué pour le Studio afin d’enregistrer un truc inconnu pour lui à l’harmonica. Mais avant le studio, il y avait la frontière….
« Vous pouvez vous garer sur la droite s’il vous plait ? »
Lors de la fouille des vêtements, nous avions peur de devoir virer tout le matériel et perdre du temps de Studio, mais ! Mais… Olivier reconnut l’un des douaniers …
» Vous êtes d’Amiens vous?… Vous êtes du quartier Pierre Rolin ! Vous connaissez X et Y … »
» ……Oui. Avant !… Au lycée !….Plus maintenant….. »
» Mais non, je vous ai vu avec eux il y a une semaine à peine…. »
« ….Bon Ok ……Allez-y !»
Grâce à X et Y, toxicos notoire à Amiens, nous avions acquis un laissez-passer douanier pour le soir et le lendemain. Et on n’a pas eu à vider les voitures….
Avec le recul, forcement on pourrait dire plein de trucs où on était pas d’acc (le fameux doublage de l’intro de basse, les guitares accordées pour le début de Travel in Love et non réaccordées pour la deuxième partie etc.). Mais pour moi je ne regrette absolument rien, ce fut un délire une expérience, que des bons souvenirs et la fameuse réflexion de Nico le frère de Fabrice à la première écoute : » On dirai un vrai groupe ! « .
Loïc : C’était une étape importante. Cela faisait 2 ans qu’on jouait ensemble et qu’on faisait des petits concerts à droite à gauche. Il fallait passer un cap, apprendre de nouvelles choses. C’était la première fois qu’on mettait les pieds dans un studio.
Aujourd’hui quand j’écoute le disque (en vérité ça ne m’arrive jamais), plutôt quand j’y repense, cela fait sourire. Ca manque de maturité. Aujourd’hui par exemple, je suis impressionné quand je vois un jeune groupe sur scène. Il y a je trouve une grande maturité à la fois technique (due au développement – dans ce que l’on appelle dans le jargon politico culturel – des « pratiques amateurs », des studios de répétition…) et artistique grâce à la diversité des genres musicaux ces quinze dernières années. A notre époque (qui dit papy), l’exemple à suivre était plus limité. Il n’y avait pas encore une « culture rock » comme dans les pays anglo-saxons et d’ailleurs le « rock français » (au sens large et même pour les groupes qui chantaient en anglais) faisait sourire. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
Comment s’est fait la transition avec la suite ? Est-ce qu’on peut parler de métamorphose? Quelles ont été vos influences ? Est-ce que vous connaissiez et écoutiez des groupes comme Deity guns ou les Thugs ?
Fabrice : Oui, ces références musicales étaient les nôtres, entre autres. J’avais
déjà une oreille tendue sur la scène industrielle berlinoise (Einsturzende neubauten, Birthday party, etc.).
La transition s’est donc faite progressivement au gré des influences de chacun. Et puis on commençait aussi à savoir jouer.
Philippe : Après le 45 tours, nous avons commencé à faire quelques concerts à Amiens « Le grand Wazoo », festivals, La lune des pirates avec Walpurgis Volta (futurs PPZ30), le Pacific club avec un groupe formé par les ex Nocious Milk dont le nom m’échappe. Nos influences musicales s’élargissait de plus en plus, l’alternatif français mis un peu à l’écart pour Noir Désir, un peu Black Maria, mais surtout, Fugazi, Redskins, Mano Negra, Gun Club, Pixies, Sinéad O’connor mais à cette époque, nous sommes bacheliers, Fabrice est même en DUT. Et là, c’est le drame…
» Philippe? C’est Loïc. Je t’appelle pour dire que Foufoune arrête le groupe…Il a remballé sa batterie (décorée au papier journal)… Il aime plus ce qu’on fait…il préfère les trucs plus simples.»
«…/… ?» répondis-je.
Cela s’est passé avant les vacances, j’étais à Lille en fac, l’année ou Fabrice et moi sortions très souvent ensemble sur Lille les samedis soirs, et parfois ailleurs. Concerts, faire des arrivées impromptues aux soirées entre amis, des bons souvenirs qui sentent la frite de 2 heures du matin à coté de la gare de Lille.
Parlons du recrutement du nouveau batteur. En juillet Loïc a prit rendez vous avec un batteur pour la rentrée en septembre. Nous avions décidé de prendre un appartement ensemble sur Amiens (ensemble oui mais bon avec Loïc, c’était pas prévu…et puis il y a eu……et donc..).
Septembre, arrive le nouveau batteur (rencontré au café « les ambassadeurs » à Amiens). Nous l’appellerons …Johnny.
Il y a des années qui s’oublient car rien n’aboutit, rien ne se lance, tout stagne, cette année avec Johnny en fut une (et la pire!) On a du faire deux, trois concerts ou quatre (??). L’un était avec Argh!! Le dernier était lors de la fête de la musique (1991) à Avion (62 mefie te !) où Johnny fut remercié.
Car notre attention était portée sur Fred, avec qui nous avions fait une répet pour jouer lors de la fête dans la ville à Amiens (qui se passait une ou deux semaines plus tard). Ce concert restera gravé à jamais dans mon esprit: C’est dans un état « second » que nous avons abordé ce concert, le dernier de la journée et de la fête, seul le Royal De Luxe nous faisait concurrence d’où 200 personnes au plus fort, ou traînait un jeune qui, après nous avoir vu, à décidé d’acheter une gratte et de faire un groupe avec son pote Pascal…Ce jeune c’est Manu.
Un autre personnage était dans la foule: Olivier Fraisier qui enregistra avec son balladeur-enregistreur, tout notre set.
Donc dans un état second je disais car la peur de jouer nous travaillait, mais elle ne s’est jamais montrée, on ne s’est pas trahi, et pourtant…
Le dimanche soir, le dernier avant le concert:
Je rentre au 59 rue Alphonse Paillat Amiens. Je dis bonjour à mes amis et je vois Loïc avec un regard un peu « regarde moi ce con dans le canapé ». Le con en question, ç’était Fabrice qui s’était cassé le majeure gauche. Blessure faisant suite à sa victoire contre une vitre. J’héritais du monopole de la guitare alors que tous les morceaux étaient faits pour deux. Fred qui fait son premier concert avec nous. En plus Yann, le percussioniste, était aussi de la « fête », et lui non plus ne connaissait pas bien les morceaux. Mais le duo de percussions fut des plus grandiose… De plus sur un titre le son se calme progressivement (une histoire de vent) et le choc: 200 personnes (qui n’ont pas payé, des badauds en fait) qui ne soufflent mot…Impressionnant… Et ce fut la métamorphose après une année d’hibernation.
A cette époque, Fabrice et moi avions depuis longtemps relégué nos études aux abonnés absents. Loïc poursuivait, Fred a tenté une deuxième année de Deug de Biologie, la musique était notre façon de vivre de parler, de rire, de communiquer, de découvrir, et parfois on parlait de quéquette.
Loïc : Cela revient un peu à ce que je disais précédemment. On ne peut pas dire qu’il y a eu transition ou métamorphose mais plutôt évolution. Nous étions ouvert à plein de choses et au fur et à mesure que notre « bagage culturel » grossissait, cela influait forcément sur notre personnalité et bien évidemment sur notre musique.
Bien sûr qu’on écoutait les Deity guns et Les Thugs. Nous avons d’ailleurs fait plusieurs concerts avec les Thugs.
Qu’est ce qui a déterminé le choix du français pour les textes alors que la plupart des formations noise chantait en anglais ?
Fabrice : Tout d’abord un défi, j’avais peut-être l’illusion de penser que ce qui pouvait importer au delà de l’énergie, c’était le texte.
Quitte à tenter de dire quelque chose autant tenter d’être compris.
Mais sans faire de la « chanson française », genre qui me gonfle particulièrement à quelques exceptions près.
Nous n’avions pas spécialement d’ambition internationale; je ne maîtrisais pas vraiment l’anglais, en tout cas pas assez pour prétendre écrire dans cette langue. D’autres n’ont pas eu ce complexe…
D’autre part nous étions nés d’une scène très francophone contrairement à ce que tu dis : Téléphone, Bijou, puis OTH, La Souris Déglinguée, Parabellum, Komintern Sect, Bérurier Noir, etc.
Philippe : Toi, tu ne connais pas l’accent de Fabrice lorsqu’il chante en Anglais…..Nous oui !
De plus comme majoritairement on écoutait des groupes français, écrire en Français était normal pour nous, on a accepté d’en faire une en Anglais « Indians ». Au début j’ai écrit au moins …deux textes !!! Loïc bien plus et Fabrice le plus. Puis Fabrice a lancé l’idée du « Théma », du concept, et on s’est dirigé dans son idée. Je n’ai jamais parlé des paroles, ou critiqué, je dirais même que j’avais l’air de ne pas m’en soucier. Je les ai lu en « cachette » … Je parlais du thème et non des textes précis, Fabrice m’en parlais souvent, il s’informait, dévorait les livres de chez Martel (libraire d’Amiens).
Comment s’est passée la composition de NNSS version 93 ? Au niveau du texte, était-ce une ébauche ou la fondation de la 2ème version ?
Est-ce qu’elle était déjà envisagée ?
Quelles ont été les conditions techniques d’enregistrement ?
Fabrice : Au moment de l’enregistrement de cette première version mini CD, le texte était quasiment écrit dans sa totalité.
J’ai très rapidement conçu les albums comme des ensembles dont on pouvait extraire des parties.
Les deux choses qui m’intéressaient à l’époque, étaient l’énergie et la narration.
Dans la série enregistrement de merde, c’était la suite du 45 tours…
(studio Fog : un son flou, rien d’étonnant finalement…)
Le deuxième enregistrement de la version intégrale, s’est beaucoup mieux passé.
On s’est pris en main. On a loué du matos (genre magnéto 16 pistes, etc.) et on a fait cela à la maison, tranquille.
Avec Daniel Delattre au son, qui a super bien bossé, considérant les conditions techniques que nous avions.
J’ai alors commencé à expérimenter les insertions sonores ; avec
l’enregistrement de mon premier paysage sonore, encore un parcours : la
traversée d’amsterdam.
Philippe : La première version disons que ce n’étais qu’un cinq titres où on a dépensé plus d’énergie à sa réalisation (boites métallique a brosser avec un décapant, achat des rosaces, autocollants, inserts, et affiches conçues par l’ex copine de Franck Pingeon futur chanteur d’ « un après midi de chien ». En revanche, l’enregistrement nous reste en travers de la gorge. Un son cristallin d’où rien ne sort, des idées mal exploitées par les ingés-sons du studio de fiente : le studio Phog ou Fog. On a pourtant refait un titre chez eux pour une compilation (plus rapidement et peut être plus efficacement).
En revanche le 2ème NNSS a été excellent à faire. Home studio chez Loïc, on a le temps, on est entre nous, tout va bien… Daniel est aux commandes du matos loué à Yves Leroy (loueur à Caudebec en Caux, Normandie), on bosse dans le calme et le plaisir. Le mixage a été fait par Fabrice et Daniel pendant que deux espèces d’andouilles déconnaient derrière leurs dos : Vincent (notre ingé-light, notre lampiste) et moi-même. Fous rires à profusion avec parfois deux têtes qui se retournent pour assister à un rire aux larmes ou voir un mort de rire gémissant sur le sol avec la tête toute rouge.
Pour moi les conditions techniques étaient très bonnes.
C’est aussi cette année là que Manu intégra le groupe et avec qui je commençais à composer ce qui sera « nine » (sorti en quatre titres « 4 »). Des après midis entiers à jouer, jouer, s’enregistrer, se réécouter, et tout cela à la guitare acoustique. En écoutant ces compos, on trouve une multitude de sonorités, un travail d’ harmoniques, une recherche de dissonances , un partage musical, une entente, j’avais trouvé mon double, le guitariste qu’il faut. Manu a ce talent, il a un genre de don, il sent le rythme, il respire les accords nouveaux. Manu m’a fait découvrir des groupes comme Alan Vega, Stooges, > le groupe Devo (D-evolution : «aren’t we not men ? We are d-vo !») et bien d’autres encore… On n’avait pas besoin de guitariste, mais on avait besoin de Manu.
Loïc : Je crois que c’est à partir de cette époque que Fabrice a commencé à écrire des « chansons » faisant partie d’une histoire globale.
Deuxième expérience en studio (si l’on excepte l’enregistrement de la K7 « Les Chiens Fous » (eh oui, le CD était encore un luxe) fait avec des bouts de ficelles dans notre garage) et pas la meilleure. Grosse déception au final.
La deuxième version s’est faite à la maison. Le secret pour un bon enregistrement, ce n’est pas le studio mais le temps.
Dans cette période qui va du 1er 45t à NNSS est ce que vous faisiez régulièrement de la scène ? Si oui, où ? Est-ce que vous bougiez ?
Philippe : On a fait pas mal de scène oui, les books en parlent. Disons qu’il y a eu avant ou (et) après NNSS de bonnes scènes, le cirque d’Amiens pour la qualification du printemps de Bourges qu’on ne gagnera que l’année suivante à St Quentin (et oui c’était notre tour), mais surtout la rencontre avec les Burning heads avec qui on a fait deux ou trois concerts, Mais aussi les Thugs. Pascal (précédemment cité) a organisé le concert de rêve pour nous: Morituri, Burning Heads, Les Thugs à l’Arapaho (Paris) au profit d’Handicap international….Magique…..
Sur notre chemin nous croiserons aussi No one is innocent en 94-95, et surtout « feu » leur producteur.
Des épisodes qu’on n’oublie pas : – Une fête de la musique à Nice,
– concert au Barjoland tenu par Paco le beau frère de Jean Sé et le concert de la veille à la boite !!! Mais surtout comment nous y sommes allés!!! Bref, passons cet épisode.
– Des expériences parallèles à la scène: le vol de nos guitares, la mini baston entre Loïc, Fabrice et moi, qui me mis les larmes aux yeux de terreur ! (Pour mémoire, c’était juste avant d’aller voir les Roadrunners à la fac) et quand Fred eut été averti, il dit les mains devant la bouche « ça aincre à donf ! » Oui Fred a ramené ce nouveau language, basé sur du verlan-néologique, ou du franglais futuriste : » Forcetly ! » » carrétly! » par exemple.
– Durham : La tournée en Angleterre avec l’aide de la F.O.L. (féd des oeuvres laîques). Ou encore une fois…
« Allo ? Olivier, c’est nous, ça te dis d’aller en Angleterre une semaine ?…Oui ?! Bon passe ce soir on part demain de bonne heure »
« Ok… »
Olivier qui durant toute l’existence du groupe a suivi par période notre cheminement, contrairement à Jean Sé qu’on voyait tous les jours. Et souvent Olive (fraiseman) est venu à la dernière minute.
Voilà je ne vais pas m’éterniser de trop, il y a tellement de souvenirs ! Loïc Fabrice et moi avons joué Led Zeppelin à Argentat en Corrèze… Ben si … On a joué pour une école de commerce aussi !!! On en a mis de l’ambiance tu sais ! Tous les quatre plus le compère Jean Sé.
Avec Jean Sé toujours, lors d’un petit pugilat dans le grenier d’un groupe (Wilbur), J’ai vu Fabrice (le chanteur des Noxious) éclater une chaise sur le dos de Jean Sé qui lui s’occupait du grand et sec guitariste du groupe Soul Over, il ne m’a jamais cru, « une chaise cassée sur mon dos? Ah bon?… » Remarque devant tant de non réaction de sa part, le fautif a vite fait de décamper croyant à une vengeance logique de la part de Jean Sé.
Henri, Viviane et Nico (la famille de Fabrice) ont une fois été les seuls spectateurs d’un de nos concerts. Etc. etc. etc. etc…
Fabrice : Me souviens plus, désolé… il me semble que oui. On a du écumer la région. C’est un peu pour cela qu’on le faisait, pas pour rester dans notre grenier.
C’est assez étrange d’ailleurs, car ce qu’il reste du groupe (au delà des souvenirs que nous avons), ce sont les disques, alors que l’intérêt premier était la scène.
Un défouloir, de l’énergie brute.
Ma pratique s’est désormais complètement inversée.
A combien d’exemplaires est sorti NNSS ? Quelles ont été les retombées (scène, presse « L’indic », label) ? Qu’aviez-vous en prévision après ?
Philippe : Là je sèche, 500 me semble le chiffre à moins que ce ne soit 1000. Quelques concerts intéressants ont suivi ce projet. Pour les critiques, on avait déjà soupé avec « la p’tite boîte » (groupe noir désirien…etc). Je pense que c’est à partir de ce moment là où je ne prêtais à la presse fanzinienne que quelques coups d’oeil furtifs….Donc les retombés oui, mais pas l’opulence. Quant aux prévisions……..
Fabrice : 500. On a un peu plus tourné, avec une reconnaissance régionale assurée et un « prémisse national ».
Je ne pense pas avoir eu beaucoup de prévision à cette époque… si ce n’est faire en sorte que ça continue.
Loïc : 500 ou 1000. Les disques que nous sortions étaient surtout des repères, des balises qui marquaient la fin d’une période « créatrice » et le début d’une nouvelle. Ils n’étaient pas destinés à la vente, mais nous servaient d’outil promotionnel pour trouver des concerts.
Les prévisions? Album, tournée, album, tournée…
Pouvez vous nous parler de l’élaboration de « 9 » ? (Création, écriture, studio, durée, démarche) Qu’est-ce-que vous vouliez apporter de différent par rapport à NNSS ? Aviez-vous découvert de nouvelles influences musicales, littéraires ou artistiques en général ? Y avait–il une ou des nouvelles orientations ? (Incorporation de samples, 2ème batterie, etc.…)
Philippe : Ce qu’il y a de nouveau pour le « 9 », Manu bien sûr pour les compos, Fabrice écrivait « l’histoire d’Alex » en parallèle avec un autre projet ( celui de Frasier ), cela devait aboutir à une bd-cd . Ca n’a pas été jusque là. Sinon le projet « 9 » rassemble a peu de choses prêt les même acteurs que pour NNSS (nous et Jean Sé).
Fabrice : « 9 » était pour moi dans la continuité du reste ; j’essayais d’améliorer
simplement ce qui ne me plaisait pas dans les expériences précédentes.
Mon intérêt pour les musiques électroniques, électro-acoustiques et la
poésie sonore était grandissant. Je sentais qu’un virage s’annonçait.
L’utilisation uniquement de la voix commençait déjà à ne plus me
satisfaire complètement. Et l’envie de construction prenait le dessus
sur celle de l’énergie. Avec le recul, je peux dire que ce que je
préfère dans « 9 » c’est « la descente au soleil », grande plage
d’improvisation (voire performance). En effet, la base était un long
enregistrement de « sol » par manu, puis à tour de rôle, chacun refaisait
une prise de son sans avoir entendu le précédent. Enfin j’ai mixé le
tout en saisissant tout ce qui était sur la bande multipiste, y compris
des enregistrements d’autres groupes non effacés.
Manu : Ce qui était différent par rapport au NNSS, c’était sûrement sur la forme une plus grande improvisation et une plus grande liberté.
Pour ma part, j’étais à ce moment-là (et depuis un certain temps) pas mal influencé par le free-jazz des 60’s…
Sinon, oui on parlait de nouvelles couleurs, mais ça a toujours été présent dans l’évolution de Morituri, Fabrice nous parlait déjà de samples à ce moment-là.
Loïc : « 9 » n’a pas été dans sa conception très différent de « NNSS ». Ce sont tous les deux des « albums concept ». Ils sont bâtis autour d’une histoire (écrite par Fabrice) dont sont extraits des morceaux.
Est-ce que vous considérez que « 9 » a été fini ? Avec du recul qu’en pensez vous par rapport à NNSS ?
Philippe : Le produit CD a été fini. Produit de promo essentiellement, avec beaucoup plus de jugeotte, on commençait presque à choisir les dates ou les lieux. Les comparer ?? Sur la prise de son, NNSS à la maison, à la maison aussi mais celle d’Alain Hiot et de l’Abeille.
Non ne me demande pas de comparer. J’y étais, on l’a fait, super souvenirs pour les deux.
Manu : Oui on peut dire qu’il a été terminé. Je suis mal placé pour comparer avec NNSS.
Loïc : Non, il n’a pas été fini, il n’a fait que commencer. En effet, l’enregistrement que nous avons fait correspond à la première étape d’un disque. Ce que l’on appelle des maquettes. Cela permet de « fixer » les compositions et d’avoir du recul.
D’ailleurs nous ne l’avons sorti sous sa forme « officielle » qu’en version « 4 » pressé par le temps (l’antenne du Printemps de Bourges voulait à tout prix qu’on ait un disque lors du festival). Je me souviens que notre « producteur » (qui était également celui de No One Is Innocent) a vraiment fait la gueule qu’on présente ça.
Fabrice : Fini, oui… abouti ? Dans ce cadre là, peut-être. Dans la globalité de ce que j’avais envie de produire, non. Mais chaque chose en son temps…
Fin de la 2ème partie
3ème PARTIE : L’après Morituri –
Vous datez à quand la fin de Morituri ?
Philippe : 1996-97-98-99-2000-01-02-03-04-05 ben non ça vit encore en moi. Morituri a arrêté, s’est arrêté, trop essoufflé de faire du sur-place.
Fabrice : Moi, j’ai dû décrocher en 95 ou 96…
Manu : C’est vague, c’est une drôle de période en fait.
Loïc : Ah bon c’est fini ?
Quel a été votre parcours musical après Morituri ?
Philippe : Pour moi => Rien Nothing Nada Nicht.
Manu : J’ai appris la batterie. Joué dans « Un après-midi de chien », qui est
devenu après « Geyser », avec Philippe Van Haelst (bref sonorisateur de
Morituri d’ailleurs, mais là je remonte à des temps immémoriaux, de
Janeiro). Et puis c’est tout.
Loïc : Je suis passé de l’autre côté de la barrière. Ou plus précisément de « sur scène » à « derrière la scène ».
Fabrice : http://fabrice.planquette.neuf.fr
Quel rapport entretenez-vous aujourd’hui avec la musique, et l’art en général ?
Philippe : Spectateur, auditeur, producteur en papier, feutres et différents crayons pour les dessins de mes deux filles.
Maintenant je fais de l’Histoire. Je reprends la guitare petit à petit, je travaille un peu le Jazz Manouche (jouer seul, faut avoir une motivation !).
Manu : Des rapports conflictuels ; étant donné que je ne peux plus me passer de la musique, mais ça fait déjà 20 ans donc maintenant je suis habitué, mais ce qui a changé, c’est que je n’arrive plus à m’identifier à la figure de l’artiste, malgré des essais répétés et encore récents. Ça me chagrine énormément, mais je crois que c’est aussi un problème d’exigence personnelle. Donc je vais prendre rendez-vous chez un psy et je reviens répondre à la question.
Pour résumer, une petite citation de Nietzche (nichts ??) : » la vie sans musique n’est qu’une erreur, une besogne éreintante, un exil. » Je vous rassure, je viens de retrouver la formule exacte avec Google.
Loïc : Des rapports plutôt cordiaux, mais aucun rapport sexuel.
Qu’est-ce que vous écoutez ? Qu’est ce que vous allez voir comme concert ? Films ? Qu’est-ce que vous lisez ?
Philippe : A l’instant Rollins (Weights), je lis pleins d’ouvrages sur les deux premières guerres mondiales, mais en ce moment c’est « l’empire des anges » de Werber, je viens de finir un autre roman « le parfum » de P.Suskind. Je pense lire tout Werber, ça m’éclate !
Concerts : Masala (groupe de St Quentin) puis d’autres petits groupes dans les p’tits festivals qui résistent. Sinon je ne vais pas au cinéma.
Fabrice : En vrac : les scènes indépendantes, tout ce qui va à la limite,
l’ensemble de la scène musicale expé, le cinéma indépendant (c’est quoi
ça ?). J’aime énormément de choses, la radicalité étant une des valeurs
récurrentes. La liste est trop longue.
Manu : Musique : tout ce que je peux glaner sur le net ou par des amis, d’Arcade Fire à Laura Veirs en passant par The Evens (nouveau groupe de Ian McKaye).
Films : same player shoot again, c’est-à-dire Sideways, Stalker, Viva
laldjérie, pour les films qui m’ont le plus marqué récemment.
Lectures : des auteurs récents (le magnifique « L’épouse hollandaise »
de McCormack, par exemple), mais aussi beaucoup de choses plus
« anciennes », comme « Bartleby » de Melville, « Au coeur des ténèbres » de
Conrad ou « Adolphe » de Benjamin Constant. C’est fini pour le name-dropping, ça y est, allez, couché l’égo, couché !
Loïc : Après Morituri, j’ai découvert grâce à mon boulot d’autres univers musicaux que le Pop-Rock-Hardcore-Techno-Trash occidental. J’ai beaucoup écouté les musiques d’Afrique de l’Ouest, Brésiliennes et Hispaniques. Cela m’a fait énormément de bien car j’étais arrivé à une saturation du format Basse-Batterie-Guitare. Aujourd’hui, ça va mieux docteur. J’écoute plus de musique en live que sur disque (ne me parle même pas du MP3). Je n’aime pas trop mettre de musique en fond sonore, il faut que j’ai l’esprit disponible pour apprécier.
Côté littérature, je lis surtout des auteurs contemporains de toutes les nationalités. Des noms?
Pour les français: Philippe Jaenada, Bayon, Christian Gailly…
Beaucoup d’Anglo-saxons et en particuliers les auteurs de polars américains comme le désormais célèbre Dennis Lehane (Mystic River, c’est lui) ou George P Pelecanos
Mais aussi des écrivains africains, finlandais, chinois…Il faut dire que j’ai un meilleur libraire que disquaire.
Est-ce que vous avez des trucs à ajouter ?
Philippe : TOUT – RIEN – UN ….. On en était resté là…
Fabrice : Demain, c’est quoi ?
Manu : Eh ben bien sûr, on a tous encore plein de choses à ajouter, que ce soit des enfants, de la musique, des repas, des sourires, des concerts, des souffrances, des effarements, et plein d’autres choses encore, oui, oui, tout ça, on vous avait prévenu : « Let’s-go-to-the-fiou-tcha-Let’s-go-to-the-fiou-tcha-Let’s-go-to-the-fiou-tcha-Let’s-GO ! »
Loïc : C’est étonnant et ça fait toujours plaisir de voir que des gens comme vous ne nous ont pas oublié. Merci.